Asteroid City : Wes Anderson va au bout de son système
Dans la lignée de son précédent film, le cinéaste américain pousse plus loin encore les curseurs de son cinéma avec Asteroid City.
Depuis The French Dispatch (2021), Wes Anderson a vu son étoile pâlir. Lui qui fut longtemps encensé par une presse unanime est désormais très contesté. La présentation d’Asteroid City en sélection officielle à Cannes a été l’occasion d’un déchaînement de commentaires acerbes, raillant un cinéaste « maniériste », qui jouerait avec ses « maisons de poupées » et n’aurait plus rien à raconter[1]. Ce soudain retournement de faveur a de quoi interroger. S’il est vrai qu’avec ses deux derniers films, Wes Anderson pousse à leur maximum les principes de son cinéma, cela s’inscrit malgré tout dans une œuvre à la cohérence remarquable. De Rushmore (1998), son deuxième long-métrage, à Grand Budapest Hotel (2014), en passant par La vie aquatique (2005), A bord du Darjeeling limited (2008) ou encore Moonrise Kingdom (2012), Anderson a bâti une filmographie marquée par une esthétique et un humour immédiatement reconnaissables. Les critiques qui se disent « épuisés » face à l’abondance de cadres léchés et de décors ultratravaillés me semblent bien difficiles. Asteroid City, qui mêle de façon jubilatoire l’univers des films de science-fiction bricolés des années 1950 et celui de l’Actors Studio de Lee Strasberg, est un régal pour les yeux. C’est aussi un film plus profond qu’il n’y paraît.
Asteroid City est une ville située en plein désert, construite autour d’un cratère de météorite et abritant un observatoire astronomique. En 1955, s’y retrouvent les familles de cinq adolescents surdoués récompensés pour leurs innovations scientifiques. Tel est le cadre du récit principal qui nous est présenté dès le début comme une pièce de théâtre, dont on suit par ailleurs la création – de l’écriture aux répétitions. Avec son habituelle inventivité, le cinéaste entraîne sa foule de personnages dans une de ces aventures colorées dont il a le secret. S’y détache particulièrement le couple formé par Augie Steenbeck (Jason Schwartzman), père de famille tout juste veuf, et Midge Campbell (Scarlett Johansson), actrice inspirée par Bette Davis. Par leurs échanges et leurs questionnements, ils font battre le cœur du film.
Il faut reconnaître que l’univers de Wes Anderson atteint ici un degré de sophistication un peu extrême. On peine parfois à comprendre où il veut en venir, comme s’il fallait être de ces génies en herbes campés par les adolescents pour saisir pleinement ses circonvolutions – la circularité tant formelle que décorative et thématique étant essentielle dans Asteroid City. Il me semble cependant que cette architecture complexe n’a rien de superficielle. La mise en abyme théâtrale n’est par exemple pas vaine. Elle permet d’aboutir à une séquence où l’acteur qui incarne Augie Steenbeck quitte le décor du cratère et pénètre dans les coulisses du théâtre, angoissé parce qu’il ne « comprend pas le sens de la pièce ». Arrive alors une très belle scène qui permet au spectateur de comprendre que le vide symbolisé par le trou du cratère – vide existentiel qui est au cœur du film – répond au vide laissé par le deuil impossible de l’épouse.
Il est clair qu’avec Asteroid City le cinéaste est arrivé au bout du sillon qu’il trace depuis quelques années. Sans doute conscient de la nécessité de se réinventer, il a annoncé travailler à un film d’espionnage centré sur une relation père-fille. Moins de personnages pour plus d’émotion ?
[1] Voir les commentaires unanimement hostiles des critiques du Masque et la plume (émission du dimanche 25 juin 2023, France Inter) et la cote presse du site Allociné de seulement 3,2/5 (la plus faible de la filmographie du cinéaste).