Dune : Villeneuve relève le défi haut la main
Le deuxième opus de Dune confirme la réussite d’une entreprise longtemps jugée impossible : l’adaptation du chef-d’œuvre d’Herbert au cinéma.
Paru en 1965 et signé Franck Herbert, le roman de science-fiction Dune a depuis longtemps la réputation d’être inadaptable à l’écran. Dans son ouvrage Les plus grands films que vous ne verrez jamais, Simon Braund consacre un chapitre à l’échec de la tentative d’Alejandro Jodorowsky. Au milieu des années 1970, le cinéaste chilien réunit autour de lui une équipe extraordinaire afin de transposer Dune au cinéma : Moebius (alias Jean Giraud), H. G. Giger (futur concepteur de la créature d’Alien), le groupe Pink Floyd pour la musique mais aussi Salvador Dali et Orson Wells comme comédiens. D’une ambition démentielle, cette fresque psychédélique ne se concrétisa pas faute de financement[1]. Le projet fut repris en 1984 par David Lynch mais se solda par un échec commercial et critique sans appel. Il fallait donc de la témérité pour remettre sur le métier l’adaptation de Dune. Le défi semblait fait pour Denis Villeneuve, cinéaste canadien qui, en quelques films (Prisoners, Sicario, Premier Contact et Blade Runner 2049), s’est imposé à Hollywood comme un metteur en scène à l’œil sûr. Afin d’être le plus fidèle possible au premier roman du cycle Dune et de retranscrire la complexité des mondes conçus par Herbert, Villeneuve a obtenu de la Warner un découpage en deux volets. Mis bout à bout, les deux parties durent 5h20 et une troisième– basée sur Le messie de Dune – est d’ores et déjà prévue pour 2027. Ce choix aboutit à une épopée d’une ampleur colossale, comme il est rarement donné d’en voir.
Grâce au sens de la composition de Villeneuve et au travail du directeur de la photographie Greig Fraser, Dune est visuellement grandiose. C’est également une fable très politique, dotée de personnages ambigus, au premier rang desquels le héros Paul Atréides (Timothée Chalamet) dont le cheminement échappe à toute classification binaire (on est loin du « côté obscur de la force » de Star Wars). Foncièrement pessimiste, Villeneuve écorne le mythe du « sauveur » et le recours à l’homme-providentiel. S’achevant sur une trahison intime déchirante, le film laisse d’ailleurs un goût amer. Contrairement à Lynch, qui occultait cette dimension pourtant essentielle, Villeneuve s’approprie aussi la critique herbertienne de la théocratie. Plus que la religion en tant que telle, Herbert condamnait le lien entre le politique et le religieux, qui favorise les systèmes d’oppression. Ce thème est d’abord présent à travers la secte des Bene Gesserit, que l’auteur avait imaginée à partir de la légende noire de l’ordre jésuite. Quant au motif du « messie », qui domine le récit de ce second opus, il trouve sa source dans le chiisme duodécimain – courant de l’islam où les croyants attendent le retour du mahdi.
Souvent comparé au Seigneur des anneaux pour son souffle épique, Dune suit pourtant une philosophie qui lui est diamétralement opposée. Frodon incarnait le héros humble, qui sauvait les peuples de la Terre du Milieu par une trajectoire sacrificielle, là où Paul Atréides semble se laisser corrompre par la soif de pouvoir. L’eschatologie chrétienne inspirant Tolkien différencie son œuvre de celle d’Herbert où transpire la méfiance à l’égard des religions instituées. En cela, et parce qu’il brouille les frontières entre le bien et le mal, Dune est bien le miroir des incertitudes de notre époque.
[1] Le passionnant documentaire Jodorowsky’s Dune (2013) revient sur cette tentative d’adaptation et sur l’influence qu’a eu son storyboard sur de nombreux cinéastes.