Folies de femmes (1922) d’Erich von Stroheim en Ciné-concert
Le 1er juin, l’Auditorium de Lyon donnait Folies de femmes en ciné-concert dans une version récemment restaurée. L’occasion de découvrir un petit bijou de l’âge d’or du muet.
Erich von Stroheim est un autrichien ayant émigré aux Etats-Unis, qui commença sa carrière à Hollywood en 1914, comme acteur – incarnant souvent des officiers prussiens – et comme assistant-réalisateur[1]. Folies de femmes (1922) est le troisième film de Stroheim en tant que réalisateur et l’un de ses plus célèbres avec Les rapaces (1924) et Queen Kelly (1928). C’était, à l’époque de sa sortie, le film le plus cher jamais mis en scène (1 million de dollars). Excentrique et mégalomane, Stroheim fut dans un rapport de force permanent avec ses producteurs, au point que l’aventure tourna au cauchemar[2]. Son perfectionnisme le poussa à rechercher toujours plus d’authenticité, au détriment des délais de production. Le tournage s’étala sur onze mois, durée considérable pour l’époque. Ne lésinant pas sur les dépenses, le cinéaste fit reconstituer Monte Carlo par d’immenses décors sur la péninsule de Monterey en Californie. Le résultat est saisissant au point que je m’y suis laissé prendre, glosant avec mon voisin sur la qualité de ces scènes prises sur le vif, alors qu’elles furent en réalité tournées en studio.
L’intrigue tient en quelques mots. Au cœur de la société oisive de Monte Carlo, le comte Serge Karamzin est un escroc qui séduit des femmes pour les dépouiller. C’est une crapule qui ne recule devant aucune ignominie que le cinéaste interprète lui-même, avec ironie et charme. Aidé par ses deux cousines-complices, il prend pour cible la femme de l’ambassadeur américain. Derrière un récit apparemment banal, Stroheim dessine la confrontation entre les valeurs européennes et les valeurs américaines, alors que la Première guerre mondiale a rapproché les deux continents. La noirceur assumée de cette œuvre tranche de façon très nette avec la production hollywoodienne de l’époque. Les vices de ces parasites, qui vivent aux crochets d’une société elle-même décadente, sont décrits sans détours. Si l’approche du cinéaste est réaliste, il orchestre néanmoins une séquence d’orage dantesque qui entraîne l’antihéros et sa proie dans l’univers quasi-expressionniste d’une cabane habitée par une vieille femme inquiétante. Là Karamzin pense pouvoir laisser libre cours à son désir, avant que ne surgisse un moine capucin, symbole du jugement divin qui finira par s’abattre sur le personnage.
On peut regretter que Stroheim n’ait pas su davantage manier l’art de l’ellipse. Certaines péripéties s’étirent en longueur au-delà du nécessaire. Quand on songe que la volonté du réalisateur était d’aboutir à un film de 6 heures, on se dit que les ciseaux des producteurs ont parfois des vertus indéniables. Le dernier quart du film rachète cependant ces errements, tant il est magistral. Toutes les sous-intrigues s’imbriquent pour une résolution spectaculaire. La fin de Karamzin est digne d’un grand roman russe.
En 1922, Folies de femmes remporta un succès considérable malgré la condamnation de l’American Legion of Decency et consolida le mythe d’Erich von Stroheim. Celui-ci finit cependant par être victime de ses excès : il fut banni des studios hollywoodiens après Queen Kelly (1928). Il émigra en France où il fut choisi par Jean Renoir pour incarner le commandant von Rauffenstein dans La Grande Illusion (1937).
[1] Notamment de D.W. Griffith sur Intolérance (1916).
[2] Richard Koszarski, The Man You Loved to Hate: Erich von Stroheim and Hollywood, Oxford University Press, 1983, p. 72.