Gladiator II : une immense déception
A la place du grand film tant espéré, il faut se résigner à un laborieux péplum au récit mal ficelé et aux personnages sans âme.
[Le Huzar sur le toit sort de sa veille avec la critique de ce film vu au cinéma d’Akaroa en Nouvelle Zélande].
Avouons d’abord qu’il y a quelque-chose d’admirable chez Ridley Scott qui continue à diriger des films aux budgets pharaoniques à l’âge de 86 ans. Véritable bourreau de travail, il développe actuellement six projets de films. S’il a toujours été un cinéaste inégal, il a su livrer des œuvres majeures telles qu’Alien, Blade Runner, Gladiator ou encore American Gangster (voir le top 10 réalisé l’année dernière). Néanmoins après l’échec retentissant de Napoléon (voir la critique), la déception suscitée par son Gladiator II pousse à se demander si le réalisateur octogénaire est encore capable d’offrir aux spectateurs un grand spectacle historique digne de ses réussites passées[1]. Donner une suite à Gladiator, film emblématique des années 2000, était périlleux. Un scénario fantastique signé Nick Cave, faisant revenir Maximus d’entre les morts, fut un temps envisagé avant que le projet ne soit plongé dans les limbes. Finalement, l’idée retenue est de suivre le destin de Lucius, petit-fils de Marc-Aurèle et fils naturel de Maximus. Le scénario s’emploie laborieusement à ce que le personnage devienne à son tour gladiateur et soit partagé entre sa haine de Rome et l’héritage glorieux de son père. Tel Michael Corleone dans Le parrain, Lucius doit prendre à contrecœur la succession de Maximus dans son combat pour une « autre Rome ». Pure idée de scénariste, intéressante sur le papier, mais qui s’avère peu convaincante à l’écran. Cela condamne même le héros du film à une posture nihiliste et une rage permanente qui le rendent aussi peu sympathique que l’était le Napoléon incarné par Joaquim Phoenix.
Au fond, Gladiator puisait sa force épique à une source principale : le personnage de Maximus, interprété avec charisme et profondeur par Russel Crowe. Le récit charpenté par John Logan (également scénariste d’Aviator et de Skyfall) était une pure merveille. A l’inverse, celui imaginé par David Scarpa, déjà responsable du script catastrophique de Napoléon, est très mal ficelé et repose sur des postulats insipides (la progressive découverte par Lucius de son héritage, la pseudo-machination menée par Macrinus). La représentation des enjeux politiques de l’empire romain s’enfonce dans le grotesque : le duo formé par les empereurs Geta et Caracalla atteint des sommets de ridicule. La manière dont le film synthétise la destinée des deux frères et la prise de pouvoir par Macrinus (qui n’était pas propriétaire de gladiateurs mais préfet) est totalement absurde[2]. Certes, le premier film signé Ridley Scott avait déjà été étrillé par les historiens pour ses nombreuses erreurs et sa vision outrancière des jeux du cirque. Mais le cinéaste pouvait s’en laver les mains en se targuant d’avoir réalisé un grand film épique. Gladiator II ne réédite malheureusement pas cet exploit. Il y a bien une ou deux séquences indéniablement bien menées (la bataille contre la forteresse numide, le combat dans l’arène contre un Rhinocéros) mais cela ne suffit pas à donner au film le souffle qui lui fait cruellement défaut.
Plombé par des personnages sans chair et des péripéties plus qu’hasardeuses, Gladiator II ne trouve jamais son rythme. Autre bémol majeur, les comédiens sont soit mal choisis soit mal servis par la partition qui leur est confiée. Paul Mescal, nouvelle étoile montante du cinéma indépendant, n’est pas crédible en Lucius – la définition même de ce que les Américains appellent un miscast. Quant à Denzel Washington, dont la performance est pourtant louée outre-Atlantique, il s’approche davantage du gangster contemporain que du conspirateur antique. Force est de constater que le retour magistral de Ridley Scott n’a pas eu lieu. Comme pour Napoléon, on se prend à rêver de ce qu’aurait pu être le film, avec un meilleur scénario et un autre casting.
[1] En 2021, Ridley Scott prouvait qu’il possédait encore cette maîtrise avec Le dernier duel.
[2] Caracalla assassina bien son frère mais régna ensuite 6 ans et non pas quelques jours. Il n’était pas débile comme le montre le film mais auteur d’une œuvre administrative d’importance (le fameux édit de Caracalla de 212).