La chambre d’à côté : terne plaidoyer pour l’euthanasie
Le cinéma d’Almodovar paraît curieusement dévitalisé dans ce "film à thèse" scolaire et dogmatique, pourtant couronné par le Lion d’or à Venise.
Il y a une phrase très révélatrice dans La chambre d’à côté. Ingrid, qui accompagne son amie Martha dans son projet d’euthanasie, lâche avec colère : « laissera-t-on un jour les gens mourants mettre fin à leur vie dans la dignité ? ». Déclamée sans grand naturel par Julianne Moore, cette réplique sonne faux. Elle est surtout un aveu de la part du metteur en scène. Le premier film américain de Pedro Almodovar se présente comme un mélo mais c’est en réalité un film à thèse, empêtré dans sa volonté de prêcher au spectateur la bonne parole sur la fin de vie. Martha (interprétée par Tilda Swinton) est une ancienne reporter de guerre dont le cancer est entré en phase terminale. Son amie Ingrid (Julianne Moore), auteure à succès, accepte de se tenir à ses côtés – dans la chambre d’à côté – pour les jours qui précède son suicide. A partir de ce canevas, Almodovar tisse un film qui consiste en une suite de discours sentencieux. Certains ont spéculé sur le fait que le cinéaste espagnol n’avait pas su diriger des comédiennes anglophones. On peut aussi estimer que les dialogues donnent une impression de fausseté parce qu’ils obéissent à un programme pro-euthanasie, lequel vide les personnages de leur chair. A ce titre, les conversations sur le réchauffement climatique et la montée du populisme en Amérique, qui n’ont aucun rapport avec l’intrigue, apparaissent étrangement plaqués. De même, la confrontation avec un policier, présenté comme un « fanatique religieux », est d’une facilité agaçante.
Que dire des flashbacks revenant sur la jeunesse de Martha si ce n’est qu’ils font basculer le film dans le ridicule ? Entre une histoire de prêtres missionnaires homosexuels en Irak et le traumatisme d’un vétéran du Vietnam, Almodovar semble parodier le romanesque qui faisait le sel de ses précédents films. Une autre difficulté vient freiner l’émotion recherchée par le réalisateur. Les deux héroïnes font partie des 1% les plus riches de la population américaine. Dès lors, il est difficile pour le spectateur de ressentir une réelle empathie pour leurs angoisses existentielles. Almodovar multiplie également les références artistiques (la peinture d’Edward Hopper, un roman de James Joyce et son adaptation cinématographique par John Huston). L’une d’elle est écrasante : celle faite au cinéma d’Ingmar Bergman et notamment à son chef-d’œuvre Persona (1967) dont la construction est très proche de La chambre d’à côté. Deux femmes s’y retrouvent dans une maison isolée, l’une étant psychiquement malade tandis que l’autre est son infirmière, et il y a une forme d’échange existentiel entre elles. De même, l’usage récurent des gros plans dans le film évoque l’art de Bergman. On songe par exemple à un plan où les visages se mêlent qui est une nouvelle variation du « overlaping face » de Persona. Mais cet hommage relève avant tout du clin d’œil cinéphile et la comparaison avec le cinéma de Bergman ne joue pas en faveur d’Almodovar.
Finalement, La chambre d’à côté raconte une forme d’obsession du contrôle. Almodovar, cinéaste connu pour son perfectionnisme, transmet au personnage de Martha ce désir de maîtrise. Le paradoxe est qu’il consacre ainsi une vision très libérale de l’existence, alors même que certains dialogues de son film pourfendent l’ultralibéralisme. Mettre fin à ses jours « dans la dignité » selon Martha, c’est en quelque sort être jusqu’au bout l’auto-entrepreneur de sa vie et décider quand le moment est venu de déposer le bilan[1]. Outre qu’il oublie toutes les personnes fragiles directement menacées par la légalisation de l’euthanasie, il n’est pas certain que ce film dogmatique et terne serve la cause qu’il entend défendre.
[1] Je reprends ici les termes justes utilisés par Pierre Jova dans Peut-on programmer la mort ? (Editions du Seuil, 2023) : « alors que l’écologie nous rappelle que nous avons besoin de sobriété, que tout est lié, que nous sommes tous interdépendants, l’euthanasie et le suicide assisté consacrent l’homme autosuffisant, insatiable et performant. Il est pour moi incompréhensible que la gauche relaie le mirage libéral de ‘se posséder soi-même’. Nous ne sommes pas auto-entrepreneurs de nos vies, et nous n’avons pas à déposer le bilan ».