Le Comte de Monte-Cristo : du grand cinéma populaire
Après le diptyque des Trois Mousquetaires, le producteur Dimitri Rassam continue de nourrir l’ambition d’un cinéma de divertissement exigeant.
Paru entre 1844 et 1846, Le Comte de Monte-Cristo est l’un des romans les plus célèbres de la littérature française, fort d’une intrigue haletante dont les ressorts tiennent de la tragédie antique. Vaste feuilleton de 1500 pages, cette œuvre semble a priori mieux convenir à une adaptation télévisuelle[1]. Tout le mérite des scénaristes-réalisateurs Alexandre de la Patellière et Mathieu Delaporte est d’avoir su retranscrire ce souffle romanesque dans le cadre d’un grand film de cinéma. En France, il faut remonter à 1954 pour trouver un équivalent : la version en deux parties avec Jean Marais (énorme succès populaire avec près de 8 millions d’entrées). La première qualité de cette nouvelle adaptation est son scénario, remarquable dans sa capacité à synthétiser en trois heures de film un récit aux multiples ramifications. L’installation des personnages est d’une grande limpidité, de même que la mise en place du complot visant Edmond Dantès. Plus tard, la machination vengeresse imaginée par le héros est à la fois passionnante et glaçante. Au long d’une narration fleuve, plusieurs genres sont convoqués. Film d’aventure tourné dans des décors naturels sublimes, avec ses duels au pistolet ou à l’épée, film carcéral dans le mythique château d’If, redoutable thriller psychologique : Le Comte de Monte-Cristo est tout cela à la fois. Dans la grande tradition des feuilletons du xixe siècle et de la Belle époque, Dantès est un justicier ayant le goût du déguisement et du mécanisme secret (le petit cabinet où il transforme son visage ou son travestissement en Lord Halifax font songer à Fantômas autant qu’à Arsène Lupin).
Exploitant intelligemment la matière littéraire géniale de Dumas, les réalisateurs ont su lui offrir un rythme soutenu et un formidable élan. Comme Les Trois Mousquetaires, le film est doté d’une belle troupe de comédiens qui contribue de manière décisive à sa réussite. Il faut d’abord saluer Pierre Niney, aussi convaincant en jeune Edmond Dantès, plein de fougue et d’innocence, qu’en Monte-Cristo, sombre et tourmenté par des années de souffrance. Le couple qu’il forme avec Anaïs Demoustier (comme dans Sauver ou périr, 2019) est solaire et donne toute sa force dramatique à la séparation puis aux retrouvailles teintées d’amertume. Le reste de la distribution est de haute tenue : Laurent Lafitte est parfait en monsieur de Villefort, Bastien Bouillon apporte sa rugosité au comte de Morcerf et Patrick Mille incarne le baron Danglars avec quelques touches humoristiques bienvenues. Par ailleurs, les jeunes Vassili Schneider, Anamaria Vartolomei, Julien de Saint-Jean sont de vraies révélations (ou confirmations). Côté équipe technique, les cinéastes ont su réunir autour d’eux des artistes talentueux : la photographie est lumineuse, les décors soignés et la musique de Jérôme Rebotier, bien qu’un peu trop présente, contient des thèmes entraînants à souhait[2]. Mais ce qui achève de faire du Comte de Monte-Cristo le grand film populaire de l’été (et sans doute l’un des meilleurs de l’année 2024), c’est l’inquiétude morale qui tourmente son héros. Sans grandiloquence ni sermon, la terrible trajectoire d’un Dantès rongé par un insatiable désir de vengeance délivre une de ces grandes leçons sur l’âme humaine dont Dumas avait le secret et que les réalisateurs ont su fidèlement reproduire.
Le Comte de Monte-Cristo va certainement séduire un large public dans les salles – avec un budget de 43 millions d’euros, le film n’a pas le droit à l’erreur. Espérons que l’incontestable réussite de cette production portée par Dimitri Rassam fasse ensuite des émules. A l’heure où les studios hollywoodiens peinent à relever la tête, on tient là la recette du blockbuster à la française.
[1] La dernière adaptation pour la Télévision date de 1998. Portée par Gérard Depardieu elle a rassemblé 12 millions de téléspectateurs lors de sa première diffusion. Autre adaptation mémorable : celle de 1979 avec Jacques Weber, réalisée par … le père d’Alexandre de la Patellière.
[2] Notamment « Le Trésor » :