Le mal n’existe pas : les limites de la politique des auteurs
Loin de la finesse de ses précédentes œuvres, Le mal n’existe pas est un Hamaguchi mineur.
Le jury de la Mostra de Venise a été piètrement inspiré en 2023. Certes Le mal n’existe pas (Lion d’argent) est bien plus estimable que Pauvres créatures (Lion d’or). Il s’agit cependant d’un film très en deçà des magnifiques Drive my car (2021) et Contes du hasard et autres fantaisies (2022) du même Ryusuke Hamaguchi. La déception est telle que l’unanimité absolue[1] de la critique française a de quoi étonner. Comme si tous se sentaient tenus de qualifier ce long-métrage de chef d’œuvre au nom de la politique des auteurs. Reprenant en chœur des termes similaires (celui de « fable écologique » qui s’applique si mal au film), beaucoup reconnaissent avec été déroutés mais s’inclinent devant la supposée maestria du cinéaste japonais. Tel Godard « dernière période » auquel certains le comparent, Hamaguchi peut donc se permettre une fin totalement absconde sans s’aliéner la critique, bien au contraire. A l’issue de la projection, domine le sentiment d’avoir assisté à une remarquable entreprise de mystification.
D’un bout à l’autre, Le mal n’existe pas ne peut échapper à l’extrême banalité de son propos. La confrontation entre un village vivant en harmonie avec la nature et une société de glamping[2] dénuée de scrupules environnementaux manque de finesse. Seule la séquence centrale de la réunion rassemblant villageois et conseillers en communication permet de retrouver le talent d’Hamaguchi, dans le dialogue comme dans la mise en scène. L’impression générale est que le cinéaste a inutilement étiré un sujet ténu sans l’inspiration nécessaire à son élévation. L’architecture du film explique le manque de cohérence de l’ensemble : il s’agissait originellement de composer quelques plans pour accompagner la création musicale d’Eiko Ishibashi. Le cinéaste a ensuite ajouté des matériaux épars pour un résultat final malheureusement bâclé. Dans un entretien pour Positif, Hamaguchi revient sur la genèse du film et a ces phrases qui sonnent comme un aveu : « Le mal n’existe pas n’était pas destiné à être montré. Je ne pensais même pas le terminer »[3].
Hormis le beau plan d’ouverture, magnifique travelling en contre-plongée vers la cime des arbres, la nature n’inspire pas vraiment le cinéaste. Les scènes inutilement étirées pullulent. Il ne suffit pas de filmer un homme coupant des buches en plan-séquence pendant de longues minutes pour que se produise le miracle d’une captation de ces instants de vie. Quand à la conclusion, formellement très tenue, elle est superficiellement obscure. Hamaguchi se réclame d’une supposée confiance dans l’intelligence du spectateur et sa capacité à assembler seul les pièces du puzzle. Mais ces derniers plans apparaissent plutôt comme de la poudre jetée par un prestidigitateur aux yeux de son public. Le tour à fonctionné à merveille à la Mostra de Venise et en projection de presse. Pas sûr que la majorité du public s’y laisse prendre.
[1] Seuls Pierre Murat et Christophe Bourseiller dans Le Masque et la plume et Eric Neuhoff dans le Figaro ont exprimé leur déception.
[2] Le glamping, synthèse de « glamour » et de « camping », est une forme d’hébergement de confort au cœur de la nature.
[3] Positif, n°758, Institut Lumière, avril 2024, p. 10.