Les 10 meilleurs films de l'année 2022
Bilan d'une année difficile pour l'exploitation en France avec 140 millions de spectateurs contre 200 millions en 2019.
1. Armageddon Time de James Gray
Le thème familial qui traverse toute l’œuvre de James Gray est traité à la source dans ce récit autobiographique qui prend la forme d’une élégante réminiscence des instants perdus. Qu’on ne s’y trompe pas, ce sont des enjeux universels qui s’affirment au travers de cette histoire éminemment personnelle : amitié adolescente, racisme endémique de la société américaine, inégalités sociales installées au cœur du système scolaire, mémoire des génocides des pays de l’Est, intégration de populations immigrées au rêve américain, etc. Tout cela passe sans être surligné, avec une infinie délicatesse. La relation avec le grand-père (Hopkins magistral) est bouleversante, à l’image de la scène clé du film (lancement de la fusée au parc).
Echec au box-office américain, boudé par les Oscars, Armageddon Time a rassemblé 370 000 spectateurs en France (dans la lignée de Lost City of Z et The immigrant).
2. La nuit du 12 de Dominik Moll
Après avoir ébloui la critique et le public avec Harry, un ami qui vous veut du bien (2001), Dominik Moll n’a cessé de décevoir, de Lemming (2005) au Moine (2010) avant d’effectuer un premier retour en force avec Seules les bêtes en 2019. Moll construit ici un polar sec, dont on ressort impressionné et secoué. Point de suspens puisque l’issue est donnée dès le départ. Le cinéaste s’intéresse avant tout aux moindres détails du travail d’enquête et à la caractérisation de tous les personnages. Le constat posé sur les féminicides est efficace sans jamais être matraqué. C’est de toute évidence le meilleur film français de l’année.
Grand succès de l’été dernier, La nuit du 12 a cumulé plus de 500 000 entrées après un démarrage à 95 000 entrées en première semaine, soit un impressionnant multiplicateur 5. Le film est nommé dans 10 catégories pour les Césars.
3. Leila et ses frères de Saeed Roustaee
Après la découverte de La loi de Téhéran en 2021, on savait que Roustaee serait un cinéaste incontournable. Leila et ses frères confirme le rôle clé qu’il joue dans l’actuelle vitalité du cinéma iranien. C’est une fresque familiale ample, par laquelle on découvre à la fois la tradition étonnante du « parrain » de quartier et mille et une réalités de la vie quotidienne en Iran (comment un simple tweet de Trump peut avoir des conséquences économiques immédiates et dramatiques pour la classe moyenne). Par sa mise en scène, Roustaee montre qu’il a un grand sens du cadrage et de l’espace. Le personnage très fort de Leila trouve un écho tragique dans la révolte et la répression qui agitent depuis des mois l’Iran.
Avec 115 000 entrées, Leila et ses frères a fait moins fort que La loi de Téhéran (165 000 entrées) en France.
4. Les Banshees d’Inisherin, de Martin McDonagh
Sur une petite île irlandaise dont le pittoresque est reconstitué avec élégance, McDonagh orchestre une déchirure amicale qui est l’image de la guerre civile irlandaise (le film se déroule en 1923, mais le conflit reste hors champ). A partir d’un argument minimaliste, le dramaturge réussit à multiplier les retournements de situation, grâce à des dialogues fins, des personnages bouleversants (même les plus secondaires) et une interprétation sans faille (mention spéciale à Colin Farrell). Un film magnifique mais cruel.
Encore en salles, Les Banshees ont rassemblé 320 000 spectateurs en France. Le film est nommé dans 9 catégories aux Oscars, dont meilleur film et meilleur réalisateur.
5. Revoir Paris d’Alice Winocour
Winocour évoque le traumatisme post-attentats de Paris avec la pudeur et la retenue nécessaire. Pourtant la scène de l’attaque n’élude rien de la brutalité et de la violence du terrorisme. Mais en plaçant sa caméra à la juste distance, la réalisatrice évite toute complaisance. Virginie Effira, d’habitude si solaire est ici marquée, ses traits sont tirés mais elle offre une belle intensité à son personnage. Les séquences où le film prend une dimension chorale par la prise de parole d’autres personnages secondaires donnent à l’ensemble une vraie force. Délicat, sensible et bouleversant : un film baume.
Succès de l’automne dernier, Revoir Paris a réuni plus de 500 000 spectateurs dans les salles. Effira est nommée pour le César de la meilleure actrice mais Winocour est ignorée…
6. Sans filtre, de Ruben Ostlund
Cette deuxième palme d’or du cinéaste suédois surpasse The Square. Ostlund excelle dans la capacité à installer des situations malaisantes. Tout le monde en prend pour son grade : influenceurs, ultra-riches et même prolétaires exploités. Au final, la vision de l’humanité est sombre mais c’est plastiquement remarquable et assez drôle. On repense longtemps après la projection aux thématiques abordées par le film et à certaines images, signe d’une œuvre véritablement marquante.
Sans filtre a rassemblé 550 000 entrées en France (davantage que The Square) et est nommé aux Oscars dans deux catégories clés : meilleur film et meilleur réalisateur.
7. As Bestas, de Rodrigo Sorogoyen
On avait déjà été impressionné par le thriller politique El Reino (2018) du cinéaste espagnol Rodrigo Sorogoyen. Son dernier film Ad Bestas surprend avec ses deux vedettes principales françaises (Denis Ménochet et Marina Foïs, tout deux remarquables) et son pitch en apparence peu riche en suspens : un couple de français installé en territoire rural espagnol, et qui peine à se faire accepter. Sauf que Sorogoyen excelle dans l’installation d’une tension permanente, jusqu’à ce que le climat devienne véritablement étouffant. La mise en scène fait preuve d’une maîtrise hitchcockienne.
As Bestas fut l’un des succès de l’été : démarrant avec 75 000 spectateurs en première semaine, il a atteint les 325 000 entrées (soit un très beau multiplicateur de 4.3).
8. Novembre, de Cédric Jimenez
Abordant avec rigueur et sobriété les attentats de 2015, Jimenez évite les travers de son complaisant Hhhh. Dans la lignée de Bac nord, c’est un thriller haletant, d’une maîtrise absolue. Les acteurs s’effacent presque au service d’une œuvre chorale (même si Demoustier et Dujardin sont impeccables). On retrouve l’angoisse de ces jours terribles. La traque a la même intensité que celle de Zero Dark Thirty, référence évidente du cinéaste. Une époustouflante réussite.
Avec ses 2.3 millions d’entrées (juste un peu au-dessus de Bac nord), c’est l’un de grands succès français de l’année. Le film est nommé dans 7 catégories aux Césars, dont meilleur réalisateur et meilleur acteur pour Jean Dujardin.
9. La conspiration du Caire, de Tarik Saleh
Tout comme dans son précédent film, Le Caire confidentiel, Saleh use des codes d’un genre (ici le film d’espionnage) pour mieux dresser un portrait de l’Egypte contemporaine. Brillamment écrit, même si les coutures sont visibles, ce thriller nous plonge dans l’univers passionnant d’une grande université islamique. Les enjeux politiques, religieux et sociaux sont abordés sans que jamais le trait ne se fasse trop insistant. Le récit passionne et certaines séquences impressionnent (l’élection du nouvel imam, le duel de prêche théologique dans la cour de l’université).
Encore un autre succès surprise de l’année 2022 avec 475 000 entrées. Le film est nommé aux Césars dans la catégorie meilleur film étranger.
10. Un autre monde
Avec ce film, Stéphane Brizé clôt sa trilogie sur le monde du travail – après La loi du marché (2015) et En guerre (2018) – et il s’agit sans doute du meilleur des trois films. Vincent Lindon incarne un dirigeant d’entreprise qui se trouve pris dans un étau, entre les injonctions de son groupe et son désir d’être un cadre juste. D’une rigueur absolue, âpre, tendu, Un autre monde évite la caricature pour dresser un tableau très sombre de la vie en entreprise. L’écriture très fine permet de montrer comment la « loi du marché » s’insère partout et dégrade les relations humaines jusqu’au sanctuaire familial, qui n’en est plus un. Remarquable.
Le film a rassemblé 480 000 spectateurs (loin derrière le million de la Loi du marché mais devant les 285 000 d’En guerre) et a été injustement oublié par l’académie des Césars.
Merci pour cet article François.