Les harkis (2022) : récit sobre et juste d’une tragédie
Le film de Philippe Faucon est malheureusement passé presque inaperçu en octobre dernier (45 000 entrées). Une séance de rattrapage s’impose.
Le cinéma a toujours été un agent essentiel des mémoires de la guerre d’Algérie (1954-1962). Dès 1966, La bataille d’Alger de l’italien Gillo Pontecorvo abordait de front les « événements » en glorifiant les combattants du FLN[1]. Dans les années 1970, des cinéastes engagés à gauche dénonçaient le comportement de l’armée française pendant le conflit (Avoir vingt ans dans les Aurès, RAS). A l’inverse, L’honneur d’un capitaine de Pierre Schoendoerffer (1982) cherchait à replacer la question de la torture dans son contexte. Avec L’ennemi intime (2007), Florent Emilio Siri s’est contenté de transposer les personnages et l’atmosphère de Platoon (1986) de la jungle vietnamienne aux montagnes Kabyles. Récemment, plusieurs films accompagnent la volonté d’apaisement des mémoires manifestée par le rapport Stora: l’embarrassant Des hommes de Lucas Belvaux en 2021 et, à l’automne dernier, Les harkis de Philippe Faucon.
La question des harkis, supplétifs algériens engagés dans l’armée française pendant la guerre ayant mené à l’indépendance de l’Algérie, est l’une des plus épineuses d’un conflit à la mémoire douloureuse. Ces combattants, qui furent plus de 200 000, ont été pour la plupart abandonnés par la France après la signature des accords d’Evian. Les massacres dont ils furent victimes ont fait plus de 70 000 morts. En parallèle, d’anciens harkis ont été rapatriés en France avec leurs familles (90 000 personnes). Ils furent installés dans des camps de reclassement censés être temporaires – mais certains y ont vécu plus de vingt ans. Ce sont tous ces destins individuels brisés que Philippe Faucon entend retracer. Il réussit brillamment dans son entreprise, parvenant à trouver la forme cinématographique adéquate pour transcrire cette tragédie. En 80 minutes, il en cerne tous les enjeux, par une galerie de personnages bien écrits et des séquences efficaces, synthétisant des événements se déroulant entre 1959 et 1962. La diversité des motivations qui les poussent à s’engager aux côtés de l’armée française est bien représentée. Le cinéaste procède par petites touches, très sobres : un interrogatoire avec recours à la torture, une opération dans un village, un dialogue entre harki et fellagha, la démobilisation, les représailles, etc. Le film n’est jamais manichéen, les exactions des deux camps étant clairement évoquées. Tous les comédiens sont d’une grande justesse : comme dans ses précédents films de Philippe Faucon, ils incarnent des « figures invisibilisés »[2].
J’ai projeté ce film à mes Terminales HGGSP à Vaulx-en-Velin. Il m’a permis d’aborder la problématique des harkis, sujet inflammable qui déclenche parfois des réactions spontanées très acerbes, de manière tout à fait constructive. Pour autant, Les harkis – contrairement à La conférence que j’ai évoquée récemment – ne se contente pas d’être un simple document pédagogique. C’est un beau film, juste et nécessaire.
[1] Interdit en France pendant des années, La bataille d’Alger fut récompensé du Lion d’or à Venise et connut un écho considérable.
[2] William Le Personnic, « Les Harkis de Philippe Faucon », Positif, n°740, octobre 2022, p. 70.