L’ultime film de William Friedkin
L’affaire de la mutinerie Caine est disponible à partir du 17 janvier sur la plateforme Paramount+. Ce film de procès efficace est le dernier d’un cinéaste incontournable du Nouvel Hollywood.
William Friedkin fut incontestablement l’un des grands réalisateurs qui, avec Martin Scorsese, Francis Ford Coppola, Brian de Palma, Steven Spielberg et quelques autres, participa à la prise de pouvoir d’une nouvelle génération à Hollywood au début des années 1970. Ce fut d’abord French Connection (1971), auquel Friedkin a su conférer une dimension réaliste grâce à des scènes de filature d’une grande vérité. Le temps n’a pas altéré le charme de ce polar porté par un Gene Hackman génial en flic à la fois droit et barré. Vint ensuite L’exorciste (1973), immense succès public et mètre-étalon du cinéma d’horreur. La possession démoniaque y est traitée avec une rigueur documentaire puis des effets spéciaux révolutionnaires pour l’époque. Le tournage puis l’échec commercial de Sorcerer (1977), chef-d’œuvre absolu de Friedkin, affectèrent durablement sa carrière. Relecture du Salaire de la peur d’Henri-Georges Clouzot, ce film est un pur bijou. Le tournage épique transparait à chaque séquence, l’atmosphère étant saturée par la crasse et les éléments naturels. Par la suite, le cinéaste ne retrouva plus jamais la confiance des producteurs. Il parvint à signer deux films très réussis, La chasse (1980) et Police fédérale Los Angeles (1985), avant d’accumuler les réalisations mineures dans les années 1990-2000.
L’affaire de la mutinerie Caine devait marquer le grand retour de William Friedkin, qui n’avait rien tourné depuis Killer Joe (2012). Le cinéaste est malheureusement décédé en août et son film a été présenté à titre posthume à la Mostra de Venise. De toute évidence, L’affaire de la mutinerie Caine souffre de la comparaison avec deux autres films de procès sortis en 2023 : Anatomie d’une chute et Le procès Goldman. Loin du grand geste de mise en scène de ces œuvres françaises, Friedkin propose un huis-clos classique et formellement sage[1]. Mais si la facture n’est pas ébouriffante, elle s’avère efficace. La réalisation évite l’alternance de banals champs-contrechamps et réussit à dynamiser des séquences qui risquaient de sombrer dans le statisme. Avec ses dialogues aiguisés, l’intrigue se suit avec plaisir. La cour martiale doit déterminer si le lieutenant Maryk a eu raison de prendre le contrôle du navire de son supérieur, le commandant Queeg, au motif que ce dernier mettait en danger tout l’équipage. Les interprètes sont très convaincants, Jason Clarke se montrant particulièrement juste lors de la séquence finale qui renouvèle la perception du procès venant de se dérouler. On regrette cependant que la photographie soit si lisse et télévisuelle – un usage du noir et blanc aurait sans doute donné au film un supplément d’âme, à l’image des indépassables références en la matière : 12 hommes en colère et Autopsie d’un meurtre.
[1] Le roman d’Herman Wouk (prix Pulitzer 1951) qui inspire le film avait déjà été adapté au cinéma par Edward Dmytryk dans L’ouragan du Caine (1954) avec Humphrey Bogart.