Lumière : « tout le cinéma était déjà là »
Deuxième volet de l’anthologie des films des frères Lumière composée et commentée par Thierry Frémaux, Lumière : l’aventure continue suscite l’émerveillement.
Après Lumière : l’aventure commence (2017), Thierry Frémaux – délégué général du festival de Cannes et directeur de l’Institut Lumière à Lyon – poursuit son entreprise qui consiste à offrir au public une version restaurée des films des frères Lumière, réalisés entre 1895 et 1905. Son ambition est de montrer que Louis et Auguste Lumière ne furent pas simples inventeurs mais de vrais artistes, auteurs de films remarquablement photographiés. De fait, on est éblouis par le sens du cadre, de la profondeur de champ, du suspens, de la comédie qui émane de ces vues de 50 secondes. Frémaux montre que ces plans-séquence qui prennent leur temps poussent à un méticuleux travail du cadre. Une époustouflante vue de militaires en montagne, bourrée d’action dans chaque portion de l’image, est là pour le prouver. A l’occasion de deux petits films, on découvre un opérateur à l’œuvre, tournant la manivelle au premier plan. On éprouve une forme d’admiration face au cinématographe en action, cette invention à la fois maniable, précise et convertible en projecteur. Une certaine émotion naît aussi dans la contemplation de ces Français de la Belle époque, saisis dans leurs activités quotidiennes. Même si l’on ne souscrit pas tout à fait à cette conviction quasi-mystique, exprimée dès 1896 et que Frémaux se réapproprie, selon laquelle « avec le cinéma, la mort n’est plus absolue », les films des Lumière donnent corps à l’intuition d’André Bazin qui estimait que le cinéma « embaume le monde ».
Comme dans le premier volet, Frémaux tord définitivement le cou à la vieille opposition entre des Lumière entièrement voués à une captation de la « vie telle qu’elle est » et un Méliès inventant les films de fictions. Il préfère voir les Lumière comme les précurseurs de la Nouvelle Vague et fait de Méliès un ancêtre du cinéma hollywoodien. Ce sont effectivement les films réalistes des Lumière qui occupent la plus grande part du long-métrage mais de ce réalisme nait une forme de magie. Il y a ces films tournés par des opérateurs envoyés aux quatre coins du monde – on est notamment plongés au cœur du Japon de l’ère Meiji, avec un repas familial traditionnel ou encore un combat interprété par un acteur. Et ce magnifique film dans lequel une masse de cavaliers part de l’arrière-plan, telle une ombre grouillante à l’horizon, et s’approche progressivement de l’objectif, en exactement cinquante secondes. Ce plan-séquence parfait est le seul que Frémaux donne à voir sans commentaire, en silence. Sa maestria anticipe déjà le cinéma de David Lean. Autre pépite de cette anthologie, de sublimes vues de Paris à l’époque de l’exposition universelle de 1900, tournées avec la pellicule en 75 mm inventée pour l’occasion. Ces films jamais projetés ont été restaurés numériquement en 2019.
Seul bémol : on regrette le peu de place accordée aux tableaux historiques réalisés par la firme Lumière. Frémaux se contente de présenter Néron essayant des poisons sur des esclaves, premier péplum de l’histoire du cinéma, en se moquant gentiment du jeu d’acteurs outrancier lors de l’agonie. Les Lumière inventent pourtant la reconstitution historique, avec la conviction que le cinéma a le pouvoir de ressusciter les grands moments de l’histoire, dans la veine de la peinture historique et du théâtre. En cela ils anticipent la mode – certes décriée plus tard par les critiques des Cahiers du cinéma mais aujourd’hui réhabilitée – du Film d’art. Ce ne sont peut-être pas les plus belles vues du catalogue Lumière mais il existe des tableaux éblouissants dans leur composition. C’est le cas de La Mort de Marat, premier film consacrée à la période de la Révolution française, qui aurait mérité de figurer au programme de cette anthologie.