Madame du Barry : de Lubitsch à Maïwenn (2/3)
Figure centrale des imaginaires du Versailles du XVIIIème siècle, Jeanne du Barry est apparue à de nombreuses reprises au cinéma. Retour sur quelques films emblématiques.
Episode 2 : Sacha Guitry
Les perles de la couronne (1937) est l’une des « promenades historiques » réalisées par Sacha Guitry au début de sa carrière de cinéaste. Il s’agit d’une invitation à déambuler dans les couloirs de l’Histoire, par laquelle le metteur en scène entraîne le spectateur à travers les époques, à la rencontre d’innombrables personnages. Cette nouvelle « forme cinématographique de l’histoire » atteindra sa pleine maturité avec Si Versailles m’était conté (1954). Guitry y déploie un régime de temporalité complexe, qui procède à la fois de la longue durée et de l’anecdote[1]. Le narrateur, tout puissant, guide le récit tandis que la caméra, elle, accompagne le mouvement du verbe, en s’approchant des anecdotes qui sont décrites par le conteur. Autre trait caractéristique de ces films, l’auteur-cinéaste s’y réserve l’interprétation de plusieurs rôles historiques, limitant la transformation de son apparence physique. Dans Les Perles de la couronne, il est successivement François Ier, Barras et Napoléon III. Le personnage historique se manifeste en effet chez Guitry par un « rituel théâtral, régi par la codification gestuelle et vocale héritée du XIXème siècle »[2]. Dans Les perles de la couronne, ce sont les perles qui permettent de remonter le temps et qui effectuent le lien entre les différents personnages historiques. Jean Martin (Sacha Guitry) y part avec son épouse à la recherche des sept perles de la couronne royale britannique. C’est l’occasion d’une balade dans le temps, du XVIème au XIXème siècle, en passant par la Révolution. L’épisode révolutionnaire fait justement intervenir madame Du Barry, qui avait hérité de l’une des perles et qui est arrêtée sur dénonciation de son page Zamor.
La séquence consacrée à Jeanne du Barry se nourrit de sa légende noire. La comédienne Simone Renant en fait une parvenue pédante qui se vautre dans une richesse ostensible. Elle s’enorgueillit d’avoir reçu l’une des perles des mains du roi et humilie son page noir, Zamor. Madame du Barry le traite comme un petit chien, lui demandant de faire le beau et de lui lécher le bout des doigts. On remarque que Sacha Guitry use de son habituel dérision pour pourfendre le racisme ordinaire ce qui, en 1937, ne manque pas de panache. Plus tard, c’est Zamor qui suggère aux sans-culottes d’arrêter la comtesse. Il apparaît alors coiffé d’un bonnet phrygien, signe de son émancipation. Guitry revient ainsi à l’origine de la signification de ce symbole qui à l’époque de la Rome antique était porté par les esclaves affranchis. Zamor n’est certes pas un esclave puisque ce jeune garçon originaire du Bengale avait été libéré à son arrivée en France, mais la façon dont il était traité par madame du Barry l’asservissait de façon inhumaine. Ici plus que jamais, cet attribut des sans-culottes trouve un emploi symbolique idéal. L’exécution de madame du Barry, qui eut lieu le 8 décembre 1793, n’est pas montrée. Mais dans le salon de Barras, Siéyès évoque avec une certaine fascination sa décapitation, glissant ce commentaire : « elle était belle ! Surtout la tête ». Voilà un exemple typique de ce que Daniel Arasse appelle la « jouissance révolutionnaire »[3].
[1] « Philosophies de Sacha Guitry. Episode 4 : Si Versailles m’était conté », émission de France culture, avec Antoine de Baecque, 5 octobre 2017.
[2] Christian Viviani, « Un art de l’autoportrait. Les rôles historiques de Sacha Guitry », Positif, n°561, novembre 2007, p. 91-93.
[3] La colère du peuple répond à l’arrogance de la victime. Daniel Arasse, La guillotine et l’imaginaire de la Terreur, Flammarion, Paris, 1987, p. 128.