Mon Crime : le dernier volet d’une trilogie
Avec Mon Crime, François Ozon boucle une trilogie entamée avec Huit femmes et Potiche, soit des comédies boulevardières qui discourent sur le féminisme.
Tous les dix ans, François Ozon revient à l’adaptation théâtrale pour des comédies acides et décalées, avec pour toile de fond les combats féministes. Ce fut Huit femmes en 2002, Potiche en 2010, et cette année Mon crime[1]. Après le contexte ô combien significatif des années 1970 dans Potiche, Ozon choisit les années 1930, dix ans à peine avant l’obtention par les femmes du droit de vote. Il revient à la thématique du crime commis par une femme, qui était déjà au cœur de son film-cluedo Huit femmes. Mais c’est par la comédie et non par de pompeux discours, qu’il aborde la question de la place des femmes dans la société française du XXème siècle. L’argument principal de Mon crime est tiré de la pièce éponyme de Louis Verneuil et Georges Berr (1934). Soit une jeune comédienne qui s’accuse du meurtre d’un producteur de cinéma libidineux et qui, brillamment défendue par sa colocataire avocate, en tire une gloire inattendue. Comme dans ses précédents opus, le cinéaste s’amuse à caricaturer l’époque et à décrire une progressive prise de pouvoir par les femmes.
Mêlant reconstitution historique soignée, comédie boulevardière et parabole grinçante sur les combats féministes, Mon Crime est une réussite, malgré d’apparentes faiblesses. La mise en place est un peu laborieuse, sans doute parce que la source théâtrale est insuffisamment masquée. Ozon revendique haut et fort l’outrance boulevardière et laisse ses comédiens cabotiner. Seulement, la théâtralité du jeu et des dialogues, comme l’unité de lieu des premières séquences (chambre des héroïnes puis palais de justice) donnent la pénible impression d’assister à une pièce filmée. Heureusement, cet artifice assumé finit par payer sur la deuxième partie du film, jubilatoire. Le rythme s’accélère alors et plusieurs situations sont irrésistibles de drôlerie. Ozon brille particulièrement lors de la séquence du procès, qui est magistrale[2]. Les héroïnes, Madeleine et Pauline, y incarnent deux emblèmes du jeu d’acteur : la comédienne qui séduit l’audience et l’avocate qui a recourt aux effets de prétoire.
Les nombreux clins d’œil au cinéma français de l’époque sont assez savoureux. A plusieurs reprises, le crime est reconstitué selon les codes du cinéma muet. Sur l’une de ses brèves séquences, Fabrice Lucchini fait office de bonimenteur, assurant à la fois la narration et les voix des personnages, pour un résultat hilarant. Ozon multiplie les références : couvertures des magazines cinéma de l’époque : L’Image, Cinémonde, etc. ; allusion au producteur Bernard Nathan, personnage sulfureux accusé d’escroquerie qui coula Pathé en 1935 ; citation du seul film français réalisé par Billy Wilder – Mauvaise graine avec Danièle Darrieux – avant qu’il ne quitte définitivement l’Europe pour les Etats-Unis. Surtout, le film entier peut être vu comme un hommage aux comédies françaises des années 1930 : théâtralité, intrigue gentiment déjantée, personnages secondaires soignés, numéros d’acteurs marquants, etc. Côté interprétation justement, on retient le numéro de Dany Boon, très bien dirigé en homme d’affaire marseillais, mais aussi la scène qui oppose Fabrice Lucchini à Isabelle Huppert, absolument délicieuse.
Après deux films boudés par le public, Tout s’est bien passé (2021) et Peter Van Kant (2022), voici assurément l’occasion pour Ozon de renouer avec le succès.
[1] Huit femmes et Potiche sont deux des plus grands succès public du cinéaste avec respectivement 3.7 et 2.3 millions d’entrées.
[2] Ozon dit s’être beaucoup inspiré de La Vérité (1960) de Clouzot pour la mise en scène de cette séquence.