Recommandé par Tarantino : L’évadé d’Alcatraz avec Clint Eastwood
Dans son livre Cinéma Spéculations, paru il y a quelques semaines, Quentin Tarantino chante notamment les louanges de l’Evadé d’Alcatraz (1979).
En librairie depuis le 22 mars dernier, Cinema Spéculations de Quentin Tarantino n’est pas très bien écrit et sans intérêt pour ceux que le cinéma des années 1970 ne passionne pas particulièrement. Mais pour les cinéphiles, c’est une mine d’informations, livrée avec l’humour et le sens de la formule caractéristiques du réalisateur de Pulp Fiction et de Once upon a time in Hollywood. On en apprend beaucoup sur tout un pan du cinéma d’exploitation américain, tout en comprenant mieux certaines obsessions de l’auteur-cinéaste – qui a vu, alors qu’il était à l’école primaire, des films comme La Horde sauvage, Délivrance, Le Parrain. On a envie de se replonger dans la filmographie de Steve McQueen, de Bullit à Guet-apens, et de voir (ou revoir) les films réalisés par Don Siegel, avec Clint Eastwood en vedette. La lecture de l’ouvrage de Tarantino m’a par exemple poussé à redécouvrir L’évadé d’Alcatraz (1979). Et je n’ai pas été déçu.
Tarantino estime que l’Evadé d’Alcatraz est « le film le plus expressif » de Siegel et sa dernière « érection artistique »[1]. Il s’agit de la cinquième collaboration entre Clint Eastwood et le réalisateur, avec lequel il a tourné Un Sheriff à New-York (1968), Sierra Torride (1969), Les Proies (1970) et surtout l’Inspecteur Harry (1971). Eastwood avait une grande admiration pour Siegel, qui aurait même été son modèle en termes de mise en scène[2]. L’évadé d’Alcatraz s’impose d’abord comme l’un des meilleurs films d’évasion de l’histoire du cinéma. Tout dans le plan de Frank Morris « frappe par son côté unique »[3]. Chaque étape est intrigante, d’autant qu’on ne saisit pas le plan dans son ensemble avant la fin du film. Il y a dans le traitement de cette histoire véridique une grande précision, digne de l’ingéniosité de Morris et de ses compagnons. Siegel excelle dans le suspens à partir de péripéties minimes. Les personnages secondaires sont également soignés – on retrouve Patrick McGoohan, qui était la vedette de la série Le prisonnier dans le rôle du directeur pénitentiaire sadique.
L’autre qualité principale de L’évadé d’Alcatraz est son aspect documentaire sur le « Rock », cette prison hors norme située dans la baie de San Francisco. Le film immerge le spectateur dans un univers carcéral dur avec une séquence introductive remarquable : Frank Morris, interprété par Clint Eastwood arrive à Alcatraz par une nuit froide. Ce sont huit minutes sans dialogues où le protagoniste apparaît progressivement défait, comme détruit de l’intérieur par son entrée à Alcatraz. On ignore tout de Morris, mais on connaît l’acteur qui l’incarne. Massif, comme « taillé au burin par Rodin »[4], Eastwood est immédiatement associé aux personnages coriaces et taiseux de la « Trilogie du dollar » et de l’Inspecteur Harry. Le voir humilié et fragilisé produit donc un effet certain. Don Siegel ose jouer avec le mythe et la scène s’achève avec Clint Eastwood nu marchant dans les couloirs d’Alcatraz.
Selon Tarantino, « aucun autre réalisateur ne comprenait mieux Eastwood »[5], pas même Sergio Leone.
[1] Quentin Tarantino, Cinema Spéculations, Flammarion, 2023, p. 337.
[2] Clint Eastwood a réalisé son premier film, Un frisson dans la nuit en 1971, peu de temps après le tournage de l’Inspecteur Harry avec Don Siegel.
[3] Tarantino, Cinema Spéculations, op. cit, p. 343.
[4] Tarantino, Cinema Spéculations, op. cit, p. 341.
[5] Tarantino, Cinema Spéculations, op. cit, p. 339.