The Apprentice à l’aube de Trump II
Présenté à Cannes mais ayant échoué à attirer les spectateurs en salle, The Apprentice est un récit d’initiation glaçant qui prend une valeur nouvelle alors que Trump retrouve le pouvoir.
Ce 20 janvier 2025, Donald Trump va redevenir, à 78 ans, président des Etats-Unis. Avant lui, seul Grover Cleveland avait réussi son come back après quatre ans d’absence[1]. Trump sera surtout le premier président américain condamné au pénal. Son rôle dans l’assaut du Capitole du 6 janvier 2021 a également fait l’objet d’une inculpation mais la procédure a été abandonnée suite au sa réélection le 5 novembre dernier[2]. Trump est un homme politique hors norme dont les frasques et les décisions brutales sont bien connues et ont déjà été largement exploitées par les médias. Centrer un film sur une telle personnalité, c’était courir le risque de courir en permanence derrière son outrance. Le cinéaste danois d’origine iranienne Ali Abassi évite ce piège en se penchant sur les jeunes années de Trump. The Apprentice entend remonter aux racines du mal. Pour cela, le récit se concentre sur la relation qui lie le futur manat de l’immobilier et son mentor, l’avocat Roy Cohn. Incarné de manière géniale par Jeremy Strong, ce personnage a quelque chose de quasiment maléfique. Sans scrupule, machiavélique, prêt à tout pour « gagner », c’est lui qui apprend à Trump les trois grandes règles qui deviendront son code de conduite : toujours attaquer ; toujours imposer sa vérité ; toujours revendiquer la victoire, même quand on a perdu. D’abord monstrueux, Roy Cohn devient pathétique lorsqu’il est atteint du sida et qu’il est trahi par son élève.
C’est que Donald Trump devient progressivement allergique aux « perdants ». Il est mal à l’aise face à la déchéance de Roy Cohn ou celle de son frère aîné qu’il abandonne lâchement et qui finit par mourir d’alcoolisme. A ce titre, la séquence où Trump cherche à retenir ses larmes, furieux que sa femme assiste à ce moment de faiblesse, se révèle étonnamment bouleversante. L’interprétation de Sebastian Stan fait alors des merveilles. L’acteur a su trouver le ton juste pour faire revivre de manière très crédible la jeunesse du président des Etats-Unis, sans pour autant verser dans la vulgaire caricature. La relation du protagoniste à sa première femme Ivana est également explorée, montrant de manière crue comment l’amour est surtout affaire de possession et de rapport de force, voire de marchandage. Le film d’Ali Abassi excelle dans la dissection d’un certain capitalisme débridé et du bling-bling des années 1980. S’il revendique une forme de satire, l’atmosphère du film n’est pas légère (on est loin du rire franc des comédies politiques d’Adam McKay, The Big Short ou Don’t Look Up) et la dernière partie est même assez glauque. On pourra regretter que la mise en scène soit un peu trop asservie aux canons des années 70-80 : caméra trop mobile, image volontairement peu soignée, montage saccadé, etc. Malgré tout, The Apprentice parvient à saisir ce qui fonde la philosophie de vie de la bête politique qu’est Trump. En cela, c’est un film qui atteint pleinement son objectif.
[1] Grover Cleveland fut président des Etats-Unis de 1885 à 1889 puis de 1893 à 1897.
[2]Le cinéaste Aaron Sorkin (scénariste de The Social Network) prépare un film sur l’assaut du Capitole.