The Fabelmans de Spielberg : histoire d’une vocation
Dans son dernier film, nommé dans sept catégories aux Oscars, Steven Spielberg nous offre une magnifique réflexion sur sa « naissance au cinéma ». [Avertissement spoilers]
Sans surprise, The Fabelmans est un grand Spielberg, admirablement mis en scène et d’une grande profondeur thématique. Il faut dire que ces dernières années, le cinéaste n’a que très rarement déçu : Indiana Jones et le royaume du crâne de cristal (2008), Cheval de guerre (2011) et Le Bon Gros Géant (2016) sont les seuls point faibles de la deuxième partie de sa filmographie. Inutile de s’attarder ici sur les évidentes qualités de la mise en scène et sur la très belle photographie de Janusz Kamiński, dont c’est la 19ème collaboration avec le cinéaste. Il me semble plus intéressant d’analyser ce qui fait de Fabelmans un récit d’apprentissage unique.
Steven Spielberg tient une place à part au sein de la génération du Nouvel Hollywood ou des movie brats[1] – il est plus proche de Georges Lucas que de Francis F. Coppola, Martin Scorsese, Brian de Palma, William Friedkin ou Peter Bogdanovich. Ce n’est pas un théoricien ni un érudit de la cinéphilie. Le cinéma, il l’a appris non pas de façon raisonnée, intellectuelle, mais en le pratiquant très tôt. C’est ce que montre très bien The Fabelmans : un apprentissage du cinéma empirique, par le bricolage de petits films déjà ambitieux. Les séquences le montrant au travail dès l’âge de 14 ans, prenant très au sérieux ce qu’il ne considère en aucun cas comme un simple hobby, sont savoureuses. Le jeune Sammy, héros du film et double de Spielberg, n’apprend pas à réaliser son premier effet spécial dans un manuel. Il a l’intuition de percer la pellicule afin d’obtenir des éclats de coups de feu, qui impressionnent ses spectateurs. L’introduction souligne également l’importance du premier film vu au cinéma pour le jeune garçon. Des images dont l’enfant ne peut se défaire et qui le hantent au point qu’il lui faille tenter de reproduire avec son train électrique le choc reçu face à l’écran. Contrairement à James Gray, qui récemment retraçait son adolescence dans le très beau Armageddon Time, le héro de Spielberg est tout entier accaparé par le cinéma – chez Gray c’était l’art de façon générale et la peinture.
Mais The Fabelmans ne se contente pas d’exposer la naissance d’une passion. C’est aussi une histoire familiale touchante, retracée dans sa complexité, sans naïveté ni jugement. Avec une grande tendresse pour ses deux parents[2], Spielberg revient sur leurs personnalités atypiques puis leur déchirure, qui a constitué un traumatisme fondateur de toute la thématique de la famille dans son cinéma. La visite d’un grand-oncle – incarné par Judd Hirsch, nommé à l’oscar du meilleur second rôle – est justement l’occasion d’une réflexion sur la difficulté d’être artiste tout en étant fidèle à ses proches. L’écartèlement entre cinéma et famille est le point nodal du film. Spielberg revient surtout sur la blessure intime qui a joué un rôle fondamental dans sa vocation de cinéaste. Dans une séquence bouleversante, qui évoque Blow up d’Antonioni, le jeune Sammy découvre l’infidélité de sa mère. Par le prisme du médium cinématographique, il voit ce qu’il ne pouvait ou ne voulait pas voir. Le cinéma agit comme révélateur de la vérité la plus crue des êtres. Secoué tant par le comportement de sa mère que par le pouvoir de l’art qu’il cherche à apprivoiser, Sammy décide d’abord de renoncer au cinéma … avant d’y revenir. C’est dire l’importance de ce moment dans sa formation de jeune réalisateur en devenir.
A la fin du film, la rencontre entre Sammy et John Ford offre une conclusion parfaite. David Lynch campe le vieux cinéaste avec une délectation communicative. Aujourd’hui, Spielberg est plus proche de Ford que jamais. Il tient la position de favori pour remporter l’oscar du meilleur réalisateur en mars. Ce serait sa troisième statuette (après celles de La liste de Schindler et Il fau sauver le soldat Ryan), la première depuis 25 ans. Il rejoindrait ainsi le club très fermé des cinéastes les plus primés par l’académie, à égalité avec William Wyler et Franck Capra. A une coudée du record détenu par un certain … John Ford (4 statuettes) !
Dans un prochain article, je reviendrai sur « Toutes les références aux films de Spielberg dans The Fabelmans ».
[1] « Les morveux du ciné », expression plus à même de qualifier cette génération selon Christian Viviani. Voir l’excellent dossier « L’œil de Steven Spielberg » dans Positif, n°744, Institut Lumière et Actes Sud, février 2023.
[2] Son père, Arnold Spielberg, est mort en 2020 à l’âge de 103 ans et sa mère, Leah Adler, est morte en 2017 à 97 ans.