Un métier sérieux : une approche réaliste du monde éducatif
Thomas Lilti décrit les réalités du métier de prof en utilisant la même méthode que lorsqu’il abordait l’univers de la santé. Une réussite.
A chaque rentrée ou presque, le public a droit à un film ayant pour cadre l’Education nationale. Il s’agit d’une tendance récente, qui n’a pour l’instant accouché que d’œuvres mineures et peu convaincantes. La vie scolaire (2019) pêchait par sa vision tronquée du milieu enseignant et son idéalisation excessive des élèves dits « difficiles ». De même, Les grands esprits (2017) déroulait un message convenu et attendu. Quant à la saga des Profs (2013 et 2015), inspirée par la bande dessinée à succès, elle s’est contentée de reproduire les clichés les plus éculés. Sorti il y a près de dix ans, Les héritiers (2014) avait le mérite d’aborder la délicate problématique des atteintes à la laïcité – ici complètement éludée. Un métier sérieux est le cinquième film de Thomas Lilti, cinéaste connu pour sa trilogie informelle sur le monde médical : Hippocrate (2014), Médecin de campagne (2016) et Première année (2018)[1]. On y retrouve la plupart des comédiens de ses précédents films, comme s’il s’était constitué au fil des ans une troupe, dont la complicité est palpable. Avec eux, le metteur en scène compose une œuvre pointilliste, faite d’une multitude de petites touches d’humanité, qui donnent à voir avec acuité le travail des enseignants.
En limitant au maximum les effets dramatiques, Lilti semble faire sienne l’approche bazinienne du réalisme[2]. Même s’il n’occulte pas les nombreux disfonctionnements qui frappent l’institution scolaire, il ne cherche pas à poser un regard politique et engagé. En revanche, il adopte un ton résolument optimiste, notamment en montrant la solidarité qui peut régner entre profs. Le film aussi est très juste dans sa représentation des altercations entre professeur et élève : cette manière dont les choses dégénèrent de façon imprévisible et brutale ; l’exaspération qui peut mener au mot de trop puis à l’explosion. Il s’attache aussi au contrechamp de la vie personnelle des enseignants, qui éclaire leur pratique (car on est prof aussi avec ce que l’on vit par ailleurs). Les élèves, eux, sont confinés à de la figuration, si ce n’est quelques fortes têtes. On peut le regretter mais la proposition de Lilti est d’être avec les profs, de les accompagner toujours. Les comédiens donnent justement à ces personnages la force d’incarnation idéale – mention spéciale à François Cluzet qui excelle en prof de Français réalisant que même son élève le plus littéraire s’ennuie dans ses cours.
La construction du film en forme de mosaïque est la force et la limite du film. S’il atteint une justesse rare, il ne dépasse pas vraiment le stade de la chronique. Mais on préfère allègrement une chronique de cette qualité qu’un drame aux effets appuyés.
[1] Les trois films ont rencontré un large public : 950 000 entrées pour Hippocrate, 1.5 millions d’entrées pour Médecin de campagne et 1 million pour Première année.
[2] Fondateur des Cahiers du cinéma, André Bazin y défendit une certaine idée du réalisme cinématographique.