Vers un avenir radieux : Moretti poursuit son journal intime
Avec beaucoup d’humour et de tendresse, Nanni Moretti exprime son désarroi face à la mort annoncée du cinéma et de l’utopie.
Tout commence en 1956. Ennio, secrétaire d’une section locale du PCI (le parti communiste italien), se réjouit de l’arrivée de l’éclairage public dans son quartier. Vient ensuite le temps des réjouissances populaires autour d’un cirque hongrois. Mais la nouvelle de l’insurrection de Budapest et de sa répression par les troupes soviétiques jette le trouble sur l’engagement politique d’Ennio. Tel est le récit du film que tourne Giovanni, cinéaste servant de double à Nanni Moretti. Rien ne va plus pour ce metteur en scène : sa femme s’apprête à le quitter, son film est menacé et sa fille est en couple avec un homme trois fois plus âgé qu’elle. A partir de ce canevas très simple, Moretti livre ses états d’âme par une suite de saynètes qui s’enchaînent à un rythme soutenu. Ce faisant, il renoue avec la forme de son Journal intime (1994) – la trottinette électrique ayant remplacé la vespa. Et il ne s’interdit rien, entraînant l’ensemble de son casting dans une chorégraphie au milieu d’une scène, prodiguant à un jeune couple les dialogues de leur dispute, interrompant le tournage d’un jeune réalisateur pour s’interroger sur la juste manière de représenter la violence.
Vers un avenir radieux opère comme une synthèse de tout le cinéma de Moretti. On reconnaît ici et là des éléments éparses de ses précédents films : le rapport au parti communiste, sa passion du ballon rond, l’éclatement de la famille, la psychanalyse, la mise en abyme d’un tournage. La présence de Margherita Buy, qui est de tous ses films depuis Le caïman (2006), et de Silvio Orlando, autre fidèle de longue date, accentue l’impression d’une grande réunion de famille morettienne. On sent que le cinéaste a nourri ce film de son désarroi face à un monde qui avance sans regarder derrière lui et sans trop savoir où il va. L’indifférence pour la politique et l’oubli de l’histoire sont deux des maux de notre siècle qu’il fustige. La mainmise des plateformes de streaming sur la production cinématographique est particulièrement décriée, ce qui donne lieu aux scènes les plus cocasses du film (la rencontre avec les producteurs de Netflix qui vantent à de multiples reprises leur présence dans « 190 pays » et conseillent au metteur en scène de rechercher un effet « what the fuck ? »). Mais on aurait tort de croire que Moretti se transforme en vieux professeur moralisateur. Il n’aime rien tant que se mettre en scène comme un horripilant bougon, avec une autodérision désarmante.
Malgré la mélancolie qui l’habite, Nanni Moretti signe un film généreux, empli de drôlerie et de musique. Au bout du chemin, le cinéaste se prend à rêver de la réalisation d’un communisme authentique en Italie. Cette conclusion volontairement utopique, qu’on est en droit de juger politiquement naïve, montre que Moretti ne cède rien au désespoir. Parce qu’il croit que le cinéma a le pouvoir de nous offrir un « avenir radieux ».