Winter Break : le grand retour d’Alexander Payne
Maniant avec la même élégance les registres comiques et dramatiques, Alexander Payne signe avec Winter Break son meilleur film.
La qualité de l’écriture et l’attention portée aux comédiens sont les deux caractéristiques essentielles du cinéma d’Alexander Payne, que l’on retrouve avec bonheur dans Winter Break. Déjà porté par l’excellent Paul Giamatti, Sideways (2005) était un enivrant road movie entraînant le spectateur sur la route des vins en Californie. The Descendents (2012), merveille d’équilibre entre le rire et les larmes, tirait le meilleur parti de Georges Clooney[1]. Ayant reçu moins d’écho en France, Nebraska (2014) orchestrait la virée pleine de tendresse d’un père et de son fils dans l’Amérique profonde. En 2018, Alexander Payne connut en revanche un échec cinglant avec son ambitieuse comédie Downsizing, qui suscita une immense déception[2]. Doté d’une idée alléchante – la réduction d’une partie de l’humanité à une taille de 12cm pour lutter contre la surpopulation –, ce film sans rythme ni drôlerie était d’un ennui mortel. Cinq ans plus tard, Winter Break marque le grand retour du cinéaste et a tous les atouts pour devenir un futur classique.
Le canevas est simple et a priori balisé. A l’hiver 1970, Mr. Hunham, professeur de latin, est chargé de s’occuper des quelques élèves du lycée Barton qui ne peuvent rentrer chez eux pour les vacances de Noël. C’est un personnage rigide, avec une pointe de sadisme. On s’attend à ce que le film s’oriente vers une forme convenue de feel good movie où Hunham déploierait une humanité trop longtemps refoulée. Ce serait mal connaître Payne et la minutie de son écriture. Winter Break emprunte des chemins de traverse et l’intrigue se resserre autour d’un trio improbable : Hunham, le jeune Angus Tully, brillant mais turbulent, et Mary Lamb, la cuisinière noire dont le fils vient d’être tué au Vietnam. Entre ces trois êtres si dissemblables mais également éprouvés par l’existence, vont se jouer de purs moments de grâce, qu’il serait peu charitable de déflorer. Grâce au génial Paul Giamatti, Hunham est un personnage d’une belle complexité, tantôt hilarant dans ses accès de colère froide, tantôt touchant par ses fêlures. Quant au jeune Dominic Sessa, repéré par la directrice de casting parce qu’il était lycéen à Deerfield (Massachussets) là où a été tourné le film, c’est une vraie révélation.
A travers les blessures de ses personnages, ce sont celles de l’Amérique que Payne dépeint. Inégalités sociales, mirage de la méritocratie, idiotie crasse de l’élite, sacrifice des plus humbles au Vietnam sont autant de thématiques abordées avec finesse. Comédie autant que drame, Winter Break est aussi une œuvre éminemment politique, au sens le plus noble du terme. Il s’agit ni plus ni moins de l’un des meilleurs films américains de l’année – nommé dans trois catégories aux Golden Globes (meilleure comédie, meilleur acteur et meilleure second rôle féminin).
[1] Voir la critique de The Descendents par le Huzar sur le toit en 2012 :
https://huzarsurletoit.blogspot.com/2012/02/descendants-clooney-aussi-meriterait.html
[2] Voir la critique de Downsizing par le Huzar sur le toit en 2018 :
https://huzarsurletoit.blogspot.com/2018/01/downsizing-mini-matt-daman-maxi-ennui.html