D’argent et de sang : le nouveau chef-d’œuvre de Xavier Giannoli
La série écrite et réalisée par Xavier Giannoli est un pur bijou doté de qualités proprement cinématographiques.
L’année dernière, je qualifiais Esterno Notte, la série de Marco Bellocchio, de « grand film de cinéma ». De la même manière, D’argent et de sang s’impose comme une œuvre majeure dont Xavier Giannoli est pleinement l’auteur. En 12 épisodes, il adapte l’enquête du journaliste Fabrice Arfi retraçant la fraude à la TVA sur les quotas carbone. Cette arnaque, réalisée entre 2008 et 2009 par un trio d’escrocs, a permis le détournement de centaines de millions d’euros, directement puisées dans les caisses de l’Etat français. A partir de cette matière passionnante, Giannoli tisse une fresque balzacienne aux personnages remarquablement dessinés, symboles des maux de notre époque. Comme dans Les illusions perdues (2021), son film au sept césars, le cinéaste construit son récit d’une main de maître et fait pénétrer le spectateur dans les méandres de l’affaire sans jamais le perdre. Evitant tout didactisme, sa mise en scène s’appuie entre autres sur un dispositif récurrent qui dynamise de nombreuses séquences : le décalage entre la voix et l’image. Tandis que l’un des personnages explique un élément clé de l’enquête, de nombreux plans, disposés par le montage comme de petits flashs, composent une élégante mosaïque.
A travers le personnage d’Attias (Niels Schneider), trader issu des beaux quartiers, on retrouve l’obsession de Giannoli pour le mensonge. De l’escroc d’A l’origine (2009) au jeune journaliste d’Illusions perdues (2021), en passant par la fausse cantatrice de Marguerite (2015), c’est incontestablement la thématique principale de son cinéma. Assumant la dimension morale de sa mission de cinéaste, Giannoli refuse de glamouriser ce personnage qui se prend pour Le loup de Wall Street et le montre dans toute sa bassesse. Morale et politique étant intimement liées, la critique du capitalisme qui ronge tout, jusqu’aux velléités de répondre aux enjeux du changement climatique, est omniprésente. Ainsi, la tirade par laquelle le magistrat des douanes incarné par Vincent Lindon laisse éclater une colère froide est empreinte d’une charge politique très efficace. Par sa litanie des « j’en veux » – miroir à peine déguisé du « J’accuse » de Zola » – il égrène les responsabilités dans le scandale d’Etat qu’est l’arnaque aux quotas carbone.
La question de la foi, déjà abordée dans L’Apparition (2018), est essentielle dans D’argent et de sang. Ici c’est le judaïsme qui a fasciné Giannoli : l’enquêteur comme les escrocs ont tous un rapport à la judéité (juifs séfarades tunisien, juif ashkénaze, enfant de juifs convertis au catholicisme après la guerre) ; plusieurs segments de l’intrigue se déroulent en Israël, particulièrement à Tel Aviv ; la rencontre entre le magistrat et un rabbin ponctuent le récit. Grâce à la belle idée du Tikkoun Olam, concept théologique juif de « réparation du monde », la traque menée par le personnage de Vincent Lindon trouve une résonnance quasi-mystique. Un mot enfin sur l’interprétation qui est uniformément admirable. En magistrat acharné, Lindon est un roc. Son regard enflammé, sa voix rocailleuse, son émotion contenue (dans les scènes évoquant ses rapports tendus avec sa fille) font merveille. Quant à Niels Schneider, qui a eu la lourde tâche de remplacer Gaspard Ulliel décédé tragiquement en 2022, il parvient à rendre sensibles les aspects les plus rebutants de la personnalité d’Attias sans jamais lui dénier son humanité.
On l’aura compris, D’argent et de sang n’est pas seulement une excellente série, c’est un film-fleuve de plus de onze heures, absolument magistral.