L’éloquence révolutionnaire à l’écran (2)
La reconstitution de la verve révolutionnaire : Give me liberty (1936) et La Marseillaise (1938)
Série de quatre articles partant en quête de la représentation des discours révolutionnaires américains et français au cinéma. [Lien vers le premier article]
Avec l’arrivée du parlant, la reconstitution de l’éloquence révolutionnaire à l’écran va insister essentiellement sur l’oralité du discours. La captation des mots de ces figures historiques est un argument spectaculaire en soi.
Aux Etats-Unis, le studio Warner Brothers lance en 1936 la réalisation d’une série de court-métrages patriotiques reconstituant les grandes pages de l’histoire américaine. Parmi eux, on trouve Give me liberty, centré sur le discours prononcé en 1775 par Patrick Henry, l’un des pères fondateurs des Etats-Unis. Tourné en couleur avec le procédé Technicolor, récompensé par un Oscar, ce film est une réussite. Le récit montre d’abord que Patrick Henry est un patriote qui brûle d’exprimer ses convictions mais qui a promis à sa femme d’être prudent car il est menacé d’arrestation par les autorités britanniques. Le discours vient clore le film : c’est un morceau de huit minutes qui dénonce vivement la tyrannie exercée par le roi Georges III. La séquence est découpée de manière classique par une alternance de plans larges, de plans resserrés sur l’orateur et de plans de réactions ciblées du public. Progressivement, la voix d’Henry monte en puissance et son corps se fait plus mobile, ses mains s’agitent. Il raidit ses poignets et les assemble en décrivant les chaînes de l’asservissement que le roi d’Angleterre a forgé et veut venir resserrer. Finalement, levant les bras au ciel, il s’exclame « give me liberty .. » et se saisissant d’une épée qu’il lève, il complète : « or give me death ! ». Le message est clair : la Révolution américaine a été menée au nom de la résistance à la tyrannie. En 1936, ce retour aux origines permet d’affirmer la supériorité du modèle démocratique américain, alors que l’Europe est submergée par des régimes totalitaires, nazis, fascistes et communistes.
C’est également un discours dénonçant la tyrannie qui retient notre attention dans La Marseillaise de Jean Renoir (1938). Par sa forme coopérative et son mode de financement orignal, La Marseillaise se veut une grande fresque historique réalisée par le peuple et pour le peuple » – les futurs spectateurs participèrent au financement du film par le biais d’une souscription. Malgré tout, Jean Renoir parvient à offrir de la Révolution une vision éminemment personnelle (sa fameuse maxime « tous le monde a ses raisons »). S’il est bien un film entièrement construit sur la mise en image de l’éloquence révolutionnaire, c’est celui-ci. Renoir donne la parole, non pas aux grandes figures, mais à des individus issus du peuple. L’intervention de la citoyenne Louise Vaucler à la tribune du club des Jacobins de Marseille est particulièrement significative. D’abord, il s’agit de l’une des rares reconstitutions cinématographiques de la participation féminine aux débats révolutionnaires. Il se trouve que Renoir était entouré de femmes pour la conception de son film : Noémi Martel-Dreyfus et Nicole Vergès au scénario – seule la première étant créditée au générique avec Karl Koch et Renoir – et Marguerite Houllé, compagne du metteur en scène, au montage. Il est clair que ces trois femmes ont joué un rôle déterminant dans l’élaboration de cette séquence qui offre une lecture résolument féministe de la place des femmes dans le débat politique.
Louise Vaucler se présente comme marchande de poissons, payant l’impôt. Elle tient à honorer la mémoire de son amant, volontaire de 1791 tué par les Autrichiens parce qu’il a été « trahi ». Elle se lance ainsi dans une accusation du roi et surtout de la reine, cette « Autrichienne, qui déteste la France ». Pour mieux souligner la vigueur du propos, Renoir passe de plans circulaires dévoilant l’auditoire et de plans larges en plongée à des gros plans sur le buste de la poissonnière. De ce discours, ressort la méfiance fondatrice, la crainte permanente du complot aristocratique. Surtout, en appelant à faire « justice des chefs criminels qui mettent leurs intérêts de caste avant l’intérêt de leur pays », cette prise de parole prépare et légitime l’assaut du 10 août. Cette séquence de la Marseillaise restitue enfin la dimension de conquête de la parole par les femmes. Avec un petit sourire en coin, elle lance : « la reine oublie que le peuple, cela ne se mène pas comme un mari. Et que nous les femmes, nous sommes là ! ».
Dans La Marseillaise comme dans Give me liberty, les mots des révolutionnaires sont restitués avec sobriété. Le discours est montré dans son intégralité, calqué sur une source historique précise. On s’autorise peu d’effets de mise en scène. Voir et entendre Louise Vaucler comme Patrick Henry s’adresser presque directement au public suffit.