L’éloquence révolutionnaire à l’écran (3)
Série de quatre articles partant en quête de la représentation des discours révolutionnaires américains et français au cinéma.
[Lien vers le premier article et le deuxième article]
La Révolution en chantant : 1776 (1972)
Peu connu en France, 1776 tente de mêler reconstitution historique et comédie musicale, un mariage aussi périlleux qu’original. Au début des années 1970, alors que l’âge d’or du genre est passé, les quelques musicals prennent une toute autre orientation (Cabaret, La fièvre du samedi soir).
En 1972, Jack Warner, vétéran de la production cinématographique alors âgé de 80 ans décide de transposer au cinéma la comédie musicale 1776 grand succès à Broadway depuis 1969. Plus tôt dans sa carrière, Warner avait essuyé plusieurs échecs en tentant de redonner vie à de grands personnages historiques. Depuis, il avait pour habitude de donner la consigne suivante à son studio : « ne me donnez plus de films où l’on écrit à la plume ». Il s’agit donc dans 1776 de trouver une forme cinématographique à l’écriture du discours révolutionnaire et à sa prononciation, qui soit plus évocatrice que la simple captation d’un orateur au travail. Le récit contracte la rédaction de la déclaration qui a en réalité pris plusieurs mois. Les dialogues du film s’appuient sur des écrits disparates des figures historiques. Le film, trop fidèle à la pièce, est très statique. Ce fut un échec commercial et critique[1], la presse dénonçant la piètre qualité des numéros musicaux. Aujourd’hui en revanche, c’est un classique des collèges américains, utilisés par les professeurs d’histoire surtout pour ses parties non-musicales, à l’image de La Révolution française de Robert Enrico en France.
De tous les pères fondateurs, c’est incontestablement John Adams, interprété par William Daniels, qui est le héros de 1776. Sa première intervention dans la salle du congrès réuni à Philadelphie, suivie du premier numéro musical du film, a une tonalité révolutionnaire. Un beau travelling accompagne Adams qui traverse la salle des débats avec vigueur. Il compare le congrès à une assemblée d’hommes inutiles. Puis sa voix tonne :
« Depuis 10 ans, le roi Georges et son Parlement ont dupé et abattu ces colonies avec leurs taxes illégales (Stamp Acts, Tea Acts, etc.). Et quand nous avons osé nous lever comme des hommes, ils ont stoppé notre commerce, saisi nos navires, bloqué nos ports, brûlé nos villes et répandu notre sang. Et pourtant, ce congrès refuse d’approuver mes propositions sur l’indépendance, ni n’a la courtoisie d’un débat ouvert ! » « Bon sang, qu’attendez vous ? »
Ce discours est prononcé sur un plan-séquence de trois minutes et il est suivi par le chant : « assieds-toi John »/« votez oui pour l’indépendance » qui, par une alternance de plans virevoltants insiste sur l’isolement d’Adams dans sa volonté révolutionnaire. Il lui faudra l’aide de Franklin et de Jefferson, une forte persévérance et une habileté parlementaire (qui évoque le Lincoln de Spielberg) pour venir à bout des réticences de ses collègues.
Pour l’anecdote, le film fut scruté de près par le président des Etats-Unis, Richard Nixon, qui admirait beaucoup John Adams. Nixon appela même Jack Warner pour exiger que la chanson « To the right » soit supprimée. Ce numéro musical a la particularité de présenter une forme d’éloquence révolutionnaire conservatrice, c’est-à-dire ancrée dans la particularité du contexte américain : des pères fondateurs déjà divisés entre propriétaires d’esclaves et abolitionnistes (la figure de Jefferson étant à cet égard ambiguë), entre grands propriétaires terriens soucieux de leurs privilèges et partisans d’une plus grande égalité. Or la pièce est créée un an après l’assassinant de Martin Luther King, à une période de fortes turbulences liées à la lutte pour les droits civiques. On comprend que Nixon ait voulu la faire couper puisqu’elle visait les conservateurs, dans un contexte de forte contestation du pouvoir avec les mouvements hostiles à la guerre du Vietnam. Il obtint gain de cause et il fallu attendre plusieurs années avant qu’elle ne soit restaurée.
[1] Melvin STOKES, American history through Hollywood film, 2013, p. 26.