Les Oscars 2023 en cinq coups de griffe
Hier avait lieu la 95ème cérémonie des Oscars. Deux films affligeants sont multirécompensés tandis plusieurs grands films repartent bredouilles. Rien ne va plus à Hollywood.
Le triomphe d’un film plein d’esbroufe
Avec 7 oscars dont ceux de meilleur film et de meilleur réalisateur, Everything Everywhere All at Once (EEAO) a régné sur la soirée. Ce ne fut guère une surprise tant le film de Daniel Scheinert et Daniel Kwan a multiplié les récompenses en amont (Golden Globes, Director’s Guild Awards, Independent Spirit Awards) accumulant plus de 150 prix. Doté d’un budget modeste (25 millions de dollars), EEAO a rencontré un grand succès aux Etats-Unis (73 millions de dollars de recette). Comment expliquer un tel engouement ? Cet ovni cinématographique explore le concept très à la mode du multiverse – les univers parallèles – de manière beaucoup plus originale que chez Marvel et avec une indéniable inventivité. Il est vrai que les trouvailles visuelles et scénaristiques ne manquent pas. Malheureusement, EEAO m’a semblé interminable, brouillon dans son exécution, et très kitsch. Au final, c’est une impression de bêtise et de grand n’importe quoi qui domine. La conclusion insipide, pleine de bons sentiments, n’arrange rien.
Les meilleurs films de moins en moins bien traités
La victoire d’EEAO face à The Fabelmans, Les Banshees d’Inisherin ou encore Tar n’est pas vraiment réjouissante et elle vient confirmer une tendance récente. Ces dernières années, ce ne sont pas forcément les films les plus brillants qui ont obtenu la récompense suprême. En 2022, Coda avait battu Dune, Licorice Pizza, et Drive my car. En 2019, Green Book avait été préféré à Roma. Et surtout en 2018, le film très convenu de Guillermo del Toro, La forme de l’eau, surclassait Dunkerque, Pentagon Papers, Three billboards et Phantom Thread ! Tout se passe comme si des critères peu cinématographiques primaient désormais pour être récompensé par l’académie : représentativité, thématiques abordées, etc.
Les « Daniels » préférés à Spielberg
C’est sans doute la récompense la plus injustement attribuée de la cérémonie. Steven Spielberg a vu lui échapper ce qui aurait constitué son troisième oscar du meilleur réalisateur (après ceux de La liste de Schindler et Il faut sauver le soldat Ryan) au profit des réalisateurs d’EEAO Daniel Scheinert et Daniel Kwan. Il aurait rejoint le club très fermé des cinéastes les plus primés par l’académie, à égalité avec William Wyler et Franck Capra et à une coudée du record détenu par John Ford (4 statuettes). J’ai déjà dit tout le bien que je pensais de The Fabelmans, magnifique réflexion sur la vocation d’un grand cinéaste.
Un film problématique sur la Première guerre mondiale
Lorsqu’A l’ouest rien de nouveau a remporté sept BAFTA, j’ai eu l’occasion de d’expliquer en quoi l’adaptation par Edward Berger du roman d’Erich Maria Remarque me semble injustement portée aux nues. Hier soir, quatre oscars, dont celui du meilleur film étranger, lui ont été attribués. Ce film de guerre , à la narration erratique et inutilement étirée, est très complaisant dans la violence. Les incohérences historiques sont légion : guerre de tranchées en 1918 alors que la guerre de mouvement a repris, soldats allemands terrorisés par les lance-flammes (pourtant mis au point par l’Allemagne dès 1916), etc. Surtout, Berger présente une vision historiquement révisionniste du contexte de signature de l’armistice, pas si éloignée de celle défendue par les nazis dans les années 1930…
Cate Blanchett boudée
Certes, Cate Blanchett avait déjà reçu l’oscar du meilleur second rôle féminin pour Aviator en 2005 et celui de la meilleure actrice pour Blue Jasmine en 2014. Malgré tout, elle méritait de nouveau cette récompense pour son extraordinaire composition dans Tar. Le film de Todd Field suit une chef d’orchestre fictive – mais que Blanchett rend crédible au point qu’on la croit réelle – et, par elle, fait entrer le spectateur dans le monde fermé de la musique classique. L’actrice, qui est de (presque) toutes les séquences, porte le film avec virtuosité. On retient notamment la scène tournée en plan-séquence où Tar rabroue un étudiant qui veut « effacer » Bach par idéologie.
Après leurs échecs en salle, l’incapacité de The Fabelmans, Tar et les Banshees d’Inisherin à rafler des oscars envoie un très mauvais signal à l’industrie hollywoodienne. Espérons que des producteurs courageux oseront encore soutenir des cinéastes exigeants.